jeudi 4 février 2010

Nous n'irons pas à Ushuaia.


Sur une musique et des paroles d’Hervé Vilard, pour faire plus triste.

Le décor (sonore au moins) est planté, alors je peux le dire. Ushuaia c’est fini. Non pas que j’y sois allé, mais plutôt que je n’irais pas avec ma moto. Par un étrange pressentiment je le savais depuis le début, mais je n’imaginais pas que ce serait une telle queue de poissonade que je me ferai servir par le destin.

Revenons donc en arrière où je vous avais laissé, vous qui avez la bonté de me suivre dans ce périple qui prend des proportions épiques (j’ai failli dire homériques, mais là même moi j’ai trouvé ça pompeux, c’est dire!).

Après avoir ouvert le moteur dès mon arrivée dans son atelier aux allures apocalyptiques, David m’a proposé de nous rencontrer le lendemain à 10 heures pour la suite du programme. Cela me convenait, j’avais besoin de décompresser un peu et de penser à autre chose car je ruminais déjà de sombres pensées défaitistes qui ne me mèneraient à rien. Il est donc de bon ton de signaler que le vin argentin fut fort apprécié par mon palais et qu’une chance que les trottoirs soient larges dans ce bout du monde, car je titubais légèrement en regagnant l’auberge où un lit douillet m’attendait dans un dortoir de douze.

Je m’éveillais d’un de mes habituels sommeils sans rêve à temps pour me rendre à l’atelier sur les coups de 10 heures. Le plaisantin qui m’avait fixé ce rendez vous n’étant toujours pas là à midi il ne me restait qu’une chose à faire : trouver un bus pour aller visiter le glacier Perito Moreno.

Ce fut facile, Perito Moreno dans le parc des glaciers est l’attraction vedette du coin. Ne pas confondre avec le Parc Perito Moreno, plus au nord, ni avec la ville de Perito Moreno encore au nord du second, ni avec Dario Moreno, mais les chances sont minces dans ce cas là étant donné que le rapport est quand même assez ténu.

Je débarquais à peine du bus que se stationnaient deux motos déjà vues récemment, pilotées par Raul et Juan. Je les surnommais mentalement Mitch-Mitch, les cinéphiles avertis comprendront pourquoi et me jouais la petite musique qui accompagne les apparitions de Bernard Blier dans ce film culte.

J’étais très content de les revoir tous les deux et nous eûmes tout l’après midi pour faire mieux connaissance. Effectivement dans notre patience commune nous attendirent cinq heures que du glacier se détache un de ces énormes morceaux de glace que l’on admire s’écrasant dans l’eau froide du lac Argentino chez soit quand on est abonné au Discovery Channel. Nous nous donnions rendez vous quelques jours plus tard à Punta Arenas pour la traversée vers Ushuaia, rendez vous que je vais irrémédiablement manquer.

Mon crâne et mon estomac ayant bien supporté les libations de la veille, je décidais une fois rentré à El Calafate de jeter mon dévolu sur un vin maison qui n’eut pas l’heur de me ravir autant que celui de la veille mais, par chance, dont les effets furent très similaires et me rendirent témoin d’une scène cocasse. Accoudé au bar un monsieur manifestement lui aussi un peu dans les vapes sirotait de la Quilmes l’air ennuyé. Mon intérêt fut éveillé quand une femme en tablier bleu sorti des cuisines et lui adressa quelques remontrances bien senties. Du moins c’est ce que je supposais à son ton, car son débit accéléré aux chuintements typiques de l’accent local fit que je ne comprenais pas un traître mot de son dithyrambe. Elle s’en est retournée aussitôt, libérée du poids manifeste de ce qu’elle avait sur le cœur. Je regardais mon buveur, ni curieux ni amusé, juste un peu soûl sans rien en penser. Voyant mon regard sur lui il a dit en souriant «une divinité» et est sorti. Il n’avait pas l’air ironique, ce qui m’a fait vraiment sourire. En effet la divinité en question possédait des mesures qui la comparaient plutôt au mont Olympe qu’à une divinité en particulier. Certainement pas l’idée que je me faisais d’une Aphrodite callipyge.

Le lendemain mon mécanicien était au poste. Je ne posais pas de question et je le regardais disséquer mon moteur comme un bon élève dissèque une grenouille sur une paillasse de salle de classe. Une des soupapes était coincée dans son logement. Dans ma méconnaissance abyssale des choses mécaniques je pressentais malgré tout que ce n’était pas trop bon comme prémisse. Quelques heures plus tard le moteur remonté autre constatation l’arbre à came ne tournait plus. Verdict de mon maître es-mécanique, arbre tordu. J’ai eu un gros doute là, si, quand même! Cette science absconse ne m’était malgré tout pas suffisamment hermétique pour que je ne remette cette assertion en doute. Je lui suggérais d’appeler un mécanicien qui connaissait quelque chose en moto. Il était d’accord. La nuit fut longue à remonter correctement mon moteur, et le mate a coulé à flot, la bouilloire constamment sur le feu.

Je retrouvais finalement ma moto marchant à peine mieux que la veille (certes elle hoquetait et éructait de manière pénible à l’ouie, mais les deux cylindres tournaient). Pour cette opération ridicule je déboursais 110 $, la plus belle arnaque dont je fus victime dans ce voyage. Dégoutté, fatigué et surtout démoralisé je payais sans broncher après quelques secondes à me demander si c’était une blague.

Je me rendais le lendemain jusqu'à Rio Gallegos, bourgade dont l’intérêt pour moi était la présence d’un concessionnaire Yamaha. Ce fut pénible. Démarrer le matin avait été une épreuve en soit. Mais alors faire la route fut encore plus dommageable pour mes nerfs. Tous les cinq kilomètres, des fois dix, le moteur s’arrêtait. Par chance après une dizaine de minutes de refroidissement il repartait. Ça rallonge pas mal le temps de route tout ça.

Mais je finis pas arriver. Verdict des experts de Yamaha : 1500 des beaux billets verts de l’Oncle Sam me remettraient sur mon droit chemin. Si le cylindre du côté de la soupape bloquée n’avait pas été abîmé, ce que de là ils ne pouvaient pas dire sans aller plus avant dans leur investigation. Je passais l’offre qui dépassait mon budget à ce point du voyage et abandonnais face à l’hydre dévorant mes soupapes.

Il me reste à savoir quoi faire. J’ai plusieurs alternatives.

Celle qui me tente le plus est détruire la moto, ou mieux en faire un autodafé. Il me faut un papier quelconque en revanche qui me certifie que le véhicule n’a pas été illégalement vendu que je puisse quitter l’Argentine tranquille.

Rapatrier la moto en l’état au Canada.

Trouver une combine quelconque pour la vendre telle qu’elle est actuellement. Les vautours sont sur mon cadavre encore fumant et j’ai plusieurs offres qui ne me paieraient même pas un sandwich au bœuf d’asado, sous le prétexte fallacieux que je ne peux pas légalement la vendre de toute façon.

Voilà donc le voyage tire à sa fin dans mon ultime thébaïde sur une pensée pour Harry Longbaugh et Leroy Parker. De la Bolivie à la Patagonie en passant par les déserts chiliens je me suis amusé à inventer un parcours romantique qui, il y a un peu plus d’un siècle, ne fut sans aucun doute pas la réalité de ces deux truands plus connus sous les noms de Sundance Kid et Butch Cassidy. Mais ils sont aussi un peu la cause de mon voyage sur ces routes, des souvenirs de lecture d’enfance quand on s’imagine le monde différemment, ni meilleur ni pire, juste avec un regard pas encore oxydé par la vie.

Dans les bonnes surprises, cet intermède malheureux m’a permis aujourd’hui de rencontrer Mike et Alanna. Deux britanniques qui font Alaska-Ushuaia en side car Ural. Ils sont drôles comme seuls les anglais peuvent l’être et tout simplement adorables. Ils sont presque au bout de leur voyage de noces. Ils m’ont définitivement remontés le moral en me rappelant (j’avais vu les affiches la veille) que Julio Iglesias serait en concert ici dans 4 jours. Je les invitais à se dépêcher d’aller à Ushuaia et revenir, nous irons ensemble.

Comme je le disais au début de ce blog, je suis en train de scinder le tour du monde que je rêve depuis des années. Cette partie «un» étant bouclée sur un semi échec (je reviendrais sûrement la dessus dans un message futur), une autre partie étant l’Australie en avion ultra léger, il me reste aussi en stock la partie Europe-Mongolie en Ural. Amusant donc d’avoir croisé la route de ces deux jeunes mariés, sur la monture que je convoite depuis des années.

Un autre signe ineffable que, s’il n’existe pas, je vais m’empresser de me susurrer pour en garder une trace labiale tangible et y croire. Aller pas longtemps, jusqu’à ce que je reviennes de Mongolie…mais me connaissant l’Ural serait capable de me lâcher aux portes du désert, en pleine Russie post poutinienne. Mais cette fois-ci je serais plus original, je le ferai sur une bande son signée Robert Jonhson.







Jamais pris au dépourvu comme tous les argentins, Raul et Juan ont tout ce qu'il faut pour préparer du mate n'importe où.

C'est là qu'il tombe le gros morceau. Regarder les images qui suivent très vite, ça fait comme si vous y étiez.





Mike et Alanna demain ils seront à Ushuaia.