dimanche 13 décembre 2009

Entre deux eaux.

C’était il y a quelques jours. Cela me parait être il y a une éternité.

Je commençais sérieusement à penser que j’allais nous expédier par avion, moi et la moto (il faudra qu’un jour je vous laisse dans la confidence et que je vous dise comment elle s’appelle, je crois que vous m’êtes assez intimes maintenant). Plus la saison. Trop mauvais temps. Parti hier, dommage. Prochain voyage mi-janvier. Que des réponses négatives.

Il faut savoir qu’il n’y a pas de transport maritime officiel entre le Panama et la Colombie à moins de passer par les compagnies spécialisées. Cela veut dire un agent maritime, des intermédiaires, etc. Pas mal de sous autrement dit.

Il n’y a pas non plus de route, ce serait un peu trop simple.

Il faut soit tenter sa chance avec des trafiquants locaux, d’île en île au gré de l’échange de marchandises à la provenance douteuse et la destination encore plus obscure, soit trouver un de ses voiliers dont le skipper est près pour une belle poignée de dollars à vous embarquer de manière plus où moins légale. En effet, ces mercenaires caribéens n’ont pas le droit de transporter des passagers payants ni des marchandises. Le risque n’est pas énorme, il y a parfois des bonds dans la conscience de l’administration colombienne qui saisie motos et bateaux. Rien que quelques pots de vin ne puissent arranger en une semaine ou deux.

Nous sommes assez nombreux, comme je l’ai déjà dit à faire ce voyage à moto et tâchons de profiter de l’expérience de ceux qui nous ont précédés. J’avais donc épuisé la plupart de ces ressources. Je suis en contact avec Sebastian depuis avant nos départs respectifs. Il est parti de Los Angeles et va aussi vers le sud. Il est argentin et bien qu’il soit difficile de se faire une idée des gens par échange de messages électroniques, je le trouvais d’avance très sympathique. Dans son dernier courriel il disait partir avec le Zao. Hélas pour moi, son départ était prévu la veille. Par dépit et sans trop d’espoir je décidais d’appeler le capitaine du Zao, Leonardo. Le mauvais temps l’avait retenu une journée de plus à Colon et il lui restait une place. Je devais le contacter le lendemain pour finaliser cette possibilité. Chose faite sans faute. Il me suffisait de la retrouver plus à l’est à Portobelo et je serais admis à bord avec armes et bagages, ce n’est pas de la chance pour voyageur à la dérive ça?

En route donc pour l’autre côté du pays, mince arrête qui relie les Amériques et se traverse en quelques heures, ce qui au Panama n’est pas sans risques. Les panaméens remportant haut la main la palme des pires conducteurs des Amériques, et fort possiblement du monde.

La tension était très palpable dans cet aréopage hétéroclite et polyglotte qu’étaient les passagers du Zao. Un passager surnuméraire voulait aussi embarquer pour cette traversée avec sa moto. Un français du nom d’Éric.

Grant, un motard canadien a, je crois, eu l’idée du vote. Marian, l’allemande, Anneh et Ionhi, un couple de finlandais votaient non. Sebastian (qui au final est vraiment très sympa), Grant et moi-même votions dans le camp du oui. Hiro, le japonais de l’équipée s’abstenait. On était mal barré.

J’ai un peu manqué le déroulement des «pour parler» pour être franc, occupé par l’embarquement de ma moto, mais au final Éric et sa Yamaha se retrouvèrent aussi en notre compagnie, n’ayant pas de couchette il dormirait sur le pont, nous serions donc neuf à bord.

Le lendemain dès l’aube nous souquions les artémuses et plissions les escarbèches malgré un temps plutôt défavorable.

Je me demande si je prétends ne pas être un aventurier pour le plaisir intellectuel d’une certaine rhétorique ou bien si c’est juste parce que je sais que mes limites physiques sont assez basses. Quel paradoxe en effet. J’adore le bateau et les voiliers plus particulièrement, mais mon corps ne semble pas partager le point de vue de mon intellect. Je souffre d’un terrible mal de mer dès que je suis sur un plan d’eau plus agité que la mare qui se forme dans ma rue devant le numéro 12 après une averse de six minutes, sans vent cela va de soit. Il n’y eu pas là d’exception. Sur la mer démontée et luttant contre des forts vents de face, il fallut 17 heures pour faire le trajet qui en prend habituellement dix.

Dont quinze que je passais les yeux fermés la tête posée sur le plat bord. J’offrais par altruisme et en offrande aux créatures marines les reliquats de mes précédents repas, et j’allais attaquer les couches sédimentaires du fond de mon estomac quand enfin un phare à l’horizon nous indiquait la proximité de notre destination du premier jour. Le seul problème potentiel se présentant sous la forme d’une obscurité tenace et une passe étroite nous séparant du mouillage salvateur. J’avais suffisamment récupéré, et la mer c’était assez adoucie pour que je puisse servir à quelque chose, mettant à profit ma vision nocturne d’oiseau de nuit barbouillé pour nous guider entre les récifs meurtriers.

Fin du jour un, journée de misère, de peine et de questionnement sur la nécessité de m’infliger de telles autopunitions. Le pire restait à venir je le pressentais.

Il y avait au programme un autre passage de deux ou trois jours d’une seule traite à effectuer vers la Colombie. Mais la météo nous étant peu favorable, les jours suivants furent consacrés au farniente. Ancrés devant une île du peuple Kuna loin de sentiers touristiques, la bonne entente semblait être de mise parmi nous. Nous partagions les tâches quotidiennes sans hésitations, nagions sans souci dans une eau presque trop chaude, cuisinions des langoustes et crabes géants achetés aux pêcheurs Kuna pour quelques dollars. Nous savions tous que le calvaire du premier jour serait encore amplifié dès que nous prendrions le large (je n’avais pas été le seul à être victime du mal de mer!). Nous faisions semblant de ne pas y penser et profitions de cette parenthèse en attendant une accalmie dans la météo. Pour nous, naufragés temporaires, les choses du monde prenaient une importance relative. Le temps s’écoulait lentement avec une saveur douce que seul ce point indéfini à cheval entre l’ennui et la paresse peut procurer à ceux que l’oisiveté surprend dans leur course folle vers un nulle part après lequel ils courent à toute vitesse.

La traversée tant redoutée se fit finalement en plusieurs étapes. Nous profitâmes d’une accalmie entre deux grains pour nous rendre jusqu’à une autre île des Kuna. Cette fois-ci nous passâmes la soirée à terre avec une famille. Il semble que chaque île abrite une famille, un groupe électrogène et un système de karaoké.

Prise trois, après une autre journée occupée à ne rien faire nous quittions le lagon sous une averse rafraîchissante. Finalement, c’est plutôt bien parti. Sept d’entre nous se portèrent volontaires pour prendre des tours de quart à la barre (le pilote automatique ne marchant pas, entre autres choses). La mer après la tempête n’était pas trop agitée. Mon second tour de garde fut le plus savoureux. J’eus droit au quart minuit-deux heures du matin. Le vent avait forcit et nous menions une bonne allure. Seul à la barre, je me lassais aller à une rêverie solitaire. Les nuages laissaient parfois entrevoir les étoiles et je fermais la lumière qui éclairait le compas et me laissais guider par les étoiles. Parfois, je rêvassais un peu trop et la grande voile se mettait à faseyer me rappelant que j’avais une tâche à accomplir et un cap à tenir. Les embruns balayaient régulièrement le pont où s’écrasaient des exocets échappant à d’invisibles prédateurs. J’eus presque envie de ne pas réveiller le responsable du quart suivant, mais il se présentait en temps et en heure et à deux heures une, je regagnais ma bannette.

L’épreuve est arrivée le jour suivant en fin d’après midi. En quelques minutes tous les nuages avaient quittés le ciel. Le vent augmenta rapidement et atteint bientôt les 40 nœuds. Le temps de ramener de la toile, il était trop tard, le foc s’était déchiré. Dans la manœuvre pour le ramener mon rétroviseur droit fut arraché et repose à présent au fond de la mer des Caraïbes.

La nuit fut plus calme, et au final si certains (moi inclus) ne se sentirent pas trop biens, personne ne fut vraiment malade. Au jour trois de mer sur les coups de midi nous entrions, sales, sentant la sueur, les entrailles un peu vrac, dans le port de Cartagena.

Il convient je pense de placer ici un mot sur notre capitaine. Il est italien Leonardo, c’est un génie excentrique et absolument passionnant. Il mériterait que quelqu’un lui écrive une biographie. Même si ses histoires sont embellies par son côté napolitain, comment ne pas succomber à ses envolées lyriques. Il s’y mélange allégrement son ancienne vie de physicien nominé pour le Nobel, de l’espionnage, des secrets d’état, des Ferrari au rouge flamboyant, des femmes (beaucoup de femmes), des naufrages, du piratage et j’en passe. Le premier soir, il me choisit pour être celui qui repérerait les récifs, décidant que j’étais celui qui voyait le mieux. Je gardais ce rôle à chaque fois que nous entrions quelque part pour un mouillage. Ce premier soir, il me montrait l’horizon et dit :

«Tou lé vois là les récifs?»

«Oui!» (Satisfait)

«Ha! Bene, parce que là yé né vois rien du tout moi!»

Son bateau est l’un des plus laids et qui à le plus besoin d’une peinture fraîche de ce côté du monde, mais il est fiable et solide, aucun accessoire n’y fonctionne, mais il nous a menés en Colombie sans faillir. C’était l’ancien voilier de Ted Turner parait-il.

Je suis en Colombie, une nouvelle page s’ouvre sur mon voyage, un nouveau continent s’offre à nous.

J’étais à Panama il y a une éternité, c’était il y a neuf jours.






Préparation et embarquement des motos. À droite la V-Strom de Sebastian qui embarque avec moi.








Les jeunes Kuna.
Et un moins jeune.