jeudi 19 novembre 2009

Presque l'Amérique Centrale.











Dure soirée, encore une!

Je suis arrivée hier en fin d’après midi dans la vile de San Cristobal De Las Casas. Un peu inquiet pour mon budget que je vois dépassé depuis un certain temps, je me suis choisi une auberge de jeunesse pour la nuit. Torben y est passé il y a quelques jours, et me garantissait la sécurité de la moto pour la nuit et un prix très raisonnable. Nous étions cinq dans ce dortoir prévu pour dix. Jim, américain de 64 ans qui depuis 15 ans passe ses hivers dans les auberges de jeunesse du Mexique pour échapper au froid de son Colorado natal, Annie, britannique de 26 ans, Connie, australienne dont j’ignore l’âge, et James de Londres qui est arrivé peu après moi. Nous échangeâmes quelques politesses d’usage et je me plongeais dans la mise à jour du blog. Le temps d’avoir fini il était temps de faire mon tour nocturne de la ville. San Cristobal est un autre de ces villages qui me plaît bien, peut-être un peu trop plein de touristes, au sens «touriste» du terme, ces amateurs de plaisirs organisés et prédigérés. Cela peut paraître péjoratif, mais je tiens à préciser que si ce mode de voyage n’est pas ma tasse de thé, il est certainement aussi respectable que n’importe quel autre.

Après un dîner économique, je me dis que j’allais essayer le bar dont l’auberge remet un coupon pour un cocktail gratuit. À peine rentré, je ressortais. Pas le genre d’endroit qui me tente. Je pourrais être aisément le père des jeunes qui s’y trémoussaient lascivement sur de la musique assourdissante. Au hasard je rentrais dans le bar suivant. S’y trouvaient James, Annie et Connie. Notre point commun de sujets du Commonwealth de sa bienveillante Majesté, la mère chapeaux emplumés, me permis de m’incruster à leur table. Table que nous quittâmes lorsque le barman se fit insistant de son balai et a éteint la musique.

Malgré tout, le matin même je fus le premier levé (j’avais pas fait de mélanges!), ces jeunes ça tient pas la route, et mis mon plan de visiter de jour à exécution. J’ai rencontré Jeff qui fait le même voyage que moi avec sa BMW 1150 GS. Il est ici pour deux semaines pour apprendre l’espagnol. Je lui proposais de manger ensemble avant que je ne prenne la route. Il voulait essayer un restaurant et l’occasion se présentait de la faire avec un autre motard. Nous y étions depuis quelques minutes quand je me retournais pour voir qui parlait français dans ce restaurant. Agréable surprise, Véronique, Bruno et Jonathan venaient de rentrer. Quel hasard quand même, dans une ville de 86 000 habitants avec des dizaines de restaurants qu’ils entrent dans celui là même où je suis. Plutôt cool de les revoir. J’espère que je les croiserai de nouveau bientôt.

Ce qui m’amène à cette fin de journée. Je voulais m’approcher de la frontière avec le Guatemala. Pas trop près, mais assez proche pour y être demain matin de bonne heure. Le soleil se planquait déjà au ponant et je voulais trouver un endroit pour la nuit avant le noir total quand je passais devant un bâtiment marqué du signe de l’immigration mexicaine. J’étais arrivé sur la frontière. Rapide demi tour en essayant de prendre un air détaché et pas trop suspect. La ville de Ciudad Cuauthémoc est une vraie ville frontière, à la Cizia Zykë. J’essayais de tourner dans le village pour trouver un hôtel. Les maisons de tôles et les rues de terre ne me laissaient que peu d’espoir. Sur la route principale à 300 mètres du poste frontière se trouvait un des deux seuls hôtels du coin. Sans doute le plus glauque depuis le début de ce voyage. J’y suis le seul client.

Une fois installé je marchais jusqu’à la frontière pour manger un morceau. Tous les éléments se liguent pour faire de cette frontière un obstacle à l’allure infranchissable. Des hautes montagnes à pic se dressent à l’est et délimitent le Guatémala. En haut de ses noirs gardiens, comme des présages néfastes se massent des nuages menaçants et remplis de funestes desseins. Il n’y a pas ici d’autres éclairages publics que ceux qui soulignent les bâtiments officiels. La marche vers la cabane de tôle qui sert quelques en-cas aux camionneurs en attente de traverser les douanes en parait plus impressionnante quelle ne le serait de jour. Mon ombre projetée sur l’asphalte par chaque passage du faisceau des phares des rares véhicules attardés par ici, se perdait de nouveau dans le noir absolu dès que les voitures nous dépassaient. Les habituels chiens semi errants m’approchaient craintivement, espérant peut-être une bienveillante offrande de ma part. Les odeurs mêlées d’urine et plus âcre encore de fumée de bois vert ajoutaient une touche de désespoir au décor.

Il faut avoir commandé une fois dans sa vie des burritos dans une cabane déglinguée sur le bord d’une frontière à la nuit tombée pour connaître cette ambiance quasi irréelle qui caractérise ces endroits flottant entre deux mondes.

De retour dans ma chambre où le ventilateur du plafond, dans un tremblement désordonné et frénétique, tente en vain de rafraîchir l’air surchauffé, je ne peux m’empêcher de penser que c’est la faute de Fred tout ça. Si, quand même un peu!

Vous vous souvenez de Fred quand même? Je ne sais pas ce qu’il est devenu, mais c’est une légende Fred Tran-Duc. À peine adolescent, dès que je pouvais mettre la main sur un Moto Journal, je sautais directement à la page de «la carte postale de Fred». Ces billets envoyés de ses tours du monde à moto me faisaient rêver. Comment ne pas s’imaginer aussi sur les frontières quand on a 12 ou 13 ans qu’on aime la moto et que Fred nous sert une poésie teintée de romantisme et de liberté.

Sauf que là, je me rappelle seulement de sa carte postale où il racontait s’être fait tabassé et volé lors d’un passage de frontière en Amérique du Sud. Merci mémoire, pour cette bonne blague.

Demain matin, je n’aurai pas le choix. Moi aussi je dois essayer de passer cette épreuve, mélange de bureaucratie et de racket organisé. J’ai déjà une vague idée de ce qui m’attend, mais l’expérience qui se préface me creuse l’estomac d’une vague inquiétude peut-être infondée.

Pour rien au monde je ne voudrais être ailleurs ce soir.