samedi 28 novembre 2009

La grande traversée du Honduras

Je n’aurais pas dû passer une journée oisive de plus à Copan. Je reviendrai à la raison de cette erreur plus tard.

J’ai quitté ce charmant village si accueillant sous la pluie. Je ne vais pas me plaindre c’est la troisième depuis mon départ il y a environ 7 semaines. La route est plutôt mauvaise au Honduras. Et pour couronner le tout il faut traverser le pays d’ouest en est avant de se rendre vers le sud ouest. Il n’y a que ce grand Z, un peu comme celui que Zorro nous faisait si bien de la pointe de l’épée, qui permette de traverser le pays. Les portions en terre étaient creusées pas les pluies des derniers jours, et ma vitesse moyenne assez basse. Et puis depuis le temps que je l’attendais, je ne l’ai pas vu venir, pris par surprise que je fus, par cette tentative d’arnaque. En trois heures j’avais passé quatre contrôles policiers. Tous plutôt brefs. Du style d’où tu viens, où tu vas?

Forcément j’avais baissé ma garde quand au cinquième je suis tombé sur mes premiers ripoux du voyage. Mon plan en tel cas, si on peut dire que j’avais un plan, était simple. Je le tiens du livre de Mr Harper, «1001 astuces pour devenir premier ministre du Canada», écrit dans sa jeunesse et sous-titré, «un jour je le serais moi aussi!». Astuce numéro 1 : si on te demande de l’argent, fait semblant de pas comprendre.

Difficile dans le cas qui nous occupe, je ne m’attendais pas au racket, et j’avais trahis ma connaissance (de base!) de la charmante et chantante langue ibérique. Donc apparemment, j’allais trop vite. Je ne dis pas que c’est impossible d’ailleurs, les panneaux étant assez rares, je ne suis pas certain de la vitesse limite à cet endroit. Mais quand je suis arrivé en vue du contrôle, je venais de doubler un bus qui me polluait les poumons depuis trois kilomètres et venait de s’arrêter pour un passager sur le bord de la route. J’étais en deuxième seulement. Bref, de toute façon ils n’ont pas de radar, alors…

Le policier me prend mon permis et me dis que je dois 50 dollars d’amende pour excès de vitesse.

-«Ha bon! Donner moi une amende et je paierai.»

-«C’est 50$, sinon on doit aller la payer au commissariat.»

-«D’accord allons au commissariat.»

-«Je garde ton permis jusqu’à ce que tu ais payé au commissariat.»

-«D’accord, allons au commissariat.»

Apparemment il n’a pas trop envie d’aller au commissariat, car il appelle un de ses collègues avec un carnet de contraventions.

-«Il va te mettre une contravention, il va falloir la payer au commissariat.»

-«D’accord»

-«Au commissariat, ce sera 80$.»

-«Allons au commissariat.»

Mon permis change de mains au profit du deuxième policier.

-«Je le garde jusqu’à ce que tu payes 50$.»

Il part prendre une marche de trois minutes et parler avec ses collègues. J’attends patiemment. Il revient à l’attaque.

-«Tu allais trop vite, il faut payer 50$.»

-«Je veux la preuve que j’allais trop vite.»

-«Quoi?»

-«Je veux la preuve que j’allais trop vite.»

Le premier revient aussi.

-«C’est la loi du Honduras, on n’a pas le droit d’aller trop vite.»

-«Je n’allais pas vite.»

-«Je t’ai vu tu allais trop vite.»

-«Je veux la preuve que j’allais trop vite.»

Le deuxième sbire, écrit sur son carnet, au cas où j’aurais manqué ce passage, «50$».

-«Je garde ton permis jusqu’à ce tu payes».

J’ai laissé échapper un soupir, ouvert ma sacoche de réservoir d’un air de désespoir. Le premier à souri jusqu’aux oreilles. Le second est resté stoïque. Mais je n’ai pas sorti d’argent juste mon carnet et un stylo.

-«Je veux ta pièce d’identité.»

-«Pourquoi?»

-«Tu as mon permis, je veux savoir qui a mon permis! Une pièce d’identité.»

Aussitôt il s’est tourné de profil. Possiblement pour cacher son nom sur sa veste. J’ai senti que la dynamique venait de changer. Le premier m’a dit que son partenaire était «Matante», s’il y a des hispanophones qui lisent ce blog, vous pouvez m’envoyer un courriel pour me donner la signification de ce mot. Merci d’avance.

Confiant dans le changement de paradigme, j’ai attrapé mon tourmenteur par la manche et je lui ai dit de me regarder quand je lui parle et de me donner sa pièce d’identité.

Il m’a aussitôt rendu mon permis et fait signe de circuler.

J’ouvre la marque, Yannick 1, pourris 0. Je suis certain qu’ils vont se rattraper plus tard, mais je suis un peu plus en confiance maintenant. Au contrôle suivant par contre, je ne me sentais pas pour recommencer le même cirque, alors quand le monsieur en bleu m’a fait signe de m’arrêter, j’ai pris l’air du poète cherchant l’inspiration au moment où il commence à manquer de rimes en «chbluque», le regard fixé sur la ligne bleue des Vosges et j’ai foncé sans m’arrêter, sans même jeter un coup d’œil aux rétroviseurs.

J’ai réussi à passer Tegucigalpa dans la journée. Je m’attendais aux habituels embouteillages et erreurs de parcours, mais non. Il y a une voie rapide qui traverse la ville de part en part. Facile.

Puis, sur ma lancée j’ai continué. Aucune ville avec hôtel ne se présentait à moi. J’ai fini par enfreindre une de mes règles d’or. Ne pas conduire la nuit. En plus, il a fallut que ce soit sous la pluie, sur des routes aux nids de poule assez imposants. J’en ai vu un qui avait englouti toute la voie de gauche sur 200 mètres ainsi que six maisons gentiment construites sur le bas côté. Et comme dit le proverbe, pluie au Honduras, route mouillée.

Trouver un hôtel ne fut pas facile dans ces conditions. Mais levé à six heures le lendemain, je pris le chemin de la frontière nicaraguayenne. C’est là que mon erreur vient me rattraper. Je voulais traverser aujourd’hui si possible pour éviter les élections honduriennes de dimanche. En dépassant les trois cents camions qui s’alignaient sur la route, je me suis dit que c’était pas bon signe. Arrivé devant la chaîne qui sert de barrière tous les helpers me criaient : «C’est fermé on ne passe pas». J’ai demandé à parler à un officiel. Effectivement la Nicaragua a fermé les frontières jusqu'à mardi matin. Génial, je suis coincé dans une ville frontière sans ressource pour les trois prochains jours avec l’armée à tous les coins de rue en cas d’émeute. Je crois que je vais pointer chez CNN pour la peine. Pas de panique notable pour le moment mais la queue devant la banque s’allonge sur des dizaines de mètres, les magasins sont pris d’assaut par des badauds calmes mais manifestement près pour la fin du monde, et les gens ne parlent que des élections.

Une chance j’ai trouvé devant la frontière des compagnons d’infortune. Nous avons pris un hôtel en ville, où les distractions sont rares, la vente d’alcool étant interdite jusqu’à après la sortie des urnes. Nous sommes donc 4 observateurs étrangers en ville, Philippe est français, Enko et Ronald Hollandais, et moi, je sais plus trop d’où je viens, mais je sais que pour le moment je ne vais nulle part.


Le régime hondurien, matin, midi et soir des baleadas sur le bord de la route (ici le soir dans le parc à Copan). Ouch! J'ai mordu dans la barquette, pas facile de prendre un autoportrait en mangeant.

Brève éclaircie avant le soir, je croyais naïvement que s'en était fini de la pluie pour la journée.

Pas ici non plus que je vais utiliser la piscine.
File monstre devant la banque avant le jour des élections.
Sinon les rues sont calmes pour le moment.
La résistance s'organise.